LE POUVOIR DU PARDON
Mgr Jean, évêque de Saint-Denis
« Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Lève-toi, dit-Il au paralytique, prends ton lit et va dans ta maison. Et il se leva et s’en alla dans sa maison ». Matthieu 9, 7
J’ai parlé hier, durant le service des Quatre-Temps, de la prêtrise issue du Christ. Quel est le premier caractère de cette nouvelle prêtrise ? Elle consiste d’abord à dire : « Seigneur, donne encore un peu de temps pour cette âme perdue, afin qu’elle soit sauvée, pour cette âme stérile qui, peut-être, bientôt, va porter des fruits… » et ainsi, de jour en jour et de siècle en siècle, cette prêtrise issue du Christ, et selon l’ordre de Melchisédech, va élever des montagnes de prière : « Donne encore un peu de temps, Seigneur pour cette humanité tombée dans le péché, et qui va peut-être se réveiller, se transformer, se régénérer… ». Voyant les âmes courbées vers la terre sous le poids du péché, enchaînées par le diable, l’œuvre de Dieu humiliée par les passions, la nouvelle prêtrise selon l’ordre de Melchisédech s’empresse d’abord de pardonner au Nom du Christ afin de redresser ces âmes, ces créatures de Dieu.
Comment se définit la nouvelle prêtrise ? C’est la prêtrise du pardon; elle marche sur les vagues de la loi comme sur le sol ferme, sans s’y enfoncer et annonce la liberté de la grâce.
Le Christ annonce aujourd’hui dans l’Évangile le pouvoir de pardonner et la foule émerveillée, plus consciente que les scribes et les pharisiens, glorifie Dieu.
Le pardon des péchés, c’est l’arrêt de la loi de cause à effet, de la « loi du Karma », c’est le dépassement de la loi, son effacement. Si l’on cherche des miracles, voilà bien le miracle par excellence ! Voilà la puissance foudroyante apportée par le Christ; nous ne sommes pas seulement greffés par Lui à la puissance du Saint-Esprit pour nous déifier ; Il nous a encore donné la puissance d’arrêter les fruits du mal; Il ne nous a pas donné seulement le pouvoir de vivifier, Il nous a donné aussi le pouvoir d’anéantir le mal. Étant Dieu-Homme, ayant reçu du Créateur le pouvoir de lier et de délier, Il n’emporte pas avec Lui ce pouvoir, mais Il le donne à ses disciples et ses successeurs :
« Ce que vous lierez sera lié, et ce que vous délierez sera délié dans les Cieux… »
Redoutable puissance ! Comment notre Seigneur, connaissant l’infirmité des hommes, a-t-Il pu leur donner cette puissance ! Car nous connaissons dans le cours des siècles des prêtres qui ont lié au moment où ils devaient délier, qui ont délié au moment où ils auraient dû lier, qui ont excommunié à tort, qui ont pardonné avec légèreté. C’est un fait: parmi les prêtres, il y a eu, comme il y aura, des hommes inférieurs, des pécheurs, des hommes vicieux, des criminels. J’ai connu des âmes liées à tort par des prêtres et elles ont été dans l’abîme, et d’autres, déliées trop facilement, qui se perdaient; et pas seulement des âmes, mais des peuples qui, au lieu de s’élever, à cause de leurs prêtres, tombaient dans les abîmes…
Ah, comment, Toi, notre Seigneur, qui connais les hommes, as-Tu pu donner ce pouvoir à des mains fragiles, à des mains incertaines ? En ce dimanche des Quatre-Temps, priez, mes amis, priez ardemment pour toute la prêtrise chrétienne; priez pour les prêtres ; en eux, vous avez les clefs du Royaume, mais en eux, aussi, vous pouvez avoir la perte de vos âmes ! Voilà pourquoi, dans la Liturgie, l’Église prie d’abord pour le rythme harmonieux du Cosmos, pour l’Église Corps du Christ, et prie tout de suite après pour le clergé; si on prie pour les patriarches, les évêques et les prêtres d’abord, ce n’est pas seulement parce que ce sont des chefs, mais parce qu’ils ont tellement besoin de prières, ayant reçu ce pouvoir redoutable.
Pourquoi Dieu a-t-Il confié cette puissance terrible entre des mains humaines si fragiles, si imparfaites ? Vous avez tous déjà la réponse dans votre cœur, vous la connaissez… c’est parce que Dieu, dès le commencement, a donné la liberté aux hommes…
Le salut ne vient pas seulement de Dieu, mais de l’homme. Cette confiance qui paraît si risquée, Dieu ne l’a pas seulement donnée aux prêtres, Il la fait à toute l’humanité, à chaque homme Il donne le terrible pouvoir de transfigurer le monde ou de le détruire, de le vivifier ou de le tuer. Cette puissance redoutable est donnée à chacun de nous sous une forme ou sous une autre; chacun peut faire de son image divine, de son esprit, une image de sainteté ou de mal. Dieu a donné à l’homme, cette créature à part, préférée, la liberté de profaner, détruire, ou sauver, vivifier. Dieu, créant le monde, a prévu notre liberté.
Ah, vous me direz : pourquoi justement cette liberté ? Pourquoi nous donne-t-Il cette responsabilité, cette liberté qui mène à des catastrophes, à la mort ? Pourquoi ne sommes-nous pas naturellement attirés comme des fleurs par le soleil ? Pourquoi pas un Paradis obligatoire, où nous n’aurions pas à choisir de difficiles chemins, mais sans la liberté, on ne peut pas avoir l’amour. L’amour est
libre. Pour que le monde ait la possibilité d’aimer Dieu, il doit être libre. Dieu s’est proposé à l’homme pour être aimé; Il a préféré donner la liberté à l’homme, et par lui au monde, pour qu’il ait la possibilité de l’amour…
On peut donner des richesses, des honneurs, des biens, à un homme sans son consentement; on ne peut pas créer l’amour sans liberté. C’est au nom de l’amour que Dieu donne la liberté. Et, mes amis, toutes ces chutes, ces catastrophes, ces malheurs, sont bien peu de chose en définitive, sont bon marché pour avoir la possibilité d’aimer Dieu, d’aimer tout court. Si nous n’avions pas connu les souffrances, la mort, le péché, nous n’aurions pas connu l’amour. Choisissons, acceptons simplement, préférons les souffrances avec l’amour à la béatitude sans l’amour, car l’amour est infiniment supérieur à la perfection naturelle.
Amen.
LA FIN DES TEMPS
DERNIER DIMANCHE APRES LA PENTECOTE
Je vais vous proposer cette méditation d’abord sur l’Évangile que nous avons entendu et surtout sur l’épître de saint Paul. En cette dernière semaine de l’année liturgique, l’Église nous propose l’enseignement du sauveur sur la fin du monde. L’Église nous rappelle aussi notre propre fin terrestre. Il y a dans l’expiration du cycle annuel une figure de notre contingence. Les événements ultimes du monde et de l’humanité ont pour prélude notre propre mort et notre jugement individuel. Écoutons la parole de Dieu dans l’Ecclésiastique 7, 36 « Dans tout ce que tu fais souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras pas » dit le Prophète. Le Seigneur lui-même nous exhorte, Il nous exhorte à la vigilance. Notre vie chrétienne est par essence orientée vers notre fin dernière bien achevée et en même temps un magnifique commencement. Et l’Évangile selon St Matthieu que nous venons d’entendre, nous dit « et toutes les tribus de la terre verrons le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec beaucoup de puissance et de gloire ». Oui, frères et sœurs, le Seigneur vient, il vient pour chacun de nous, Il vient toujours au moment ou nous quittons ce monde, c’est-à-dire au moment de la mort. Le Seigneur vient même si les signes avant coureur, comme nous l’avons entendu, ne sont pas encore accomplis. Nul ne connaît ni le jour ni l’heure, mais il y a des signes.
Parlons maintenant un peu de l’Apôtre Paul, dont nous avons, entendu la lecture de l’épître. Que dit-il ? Lorsqu’il termine le texte choisi de son épître, pour ce dernier dimanche après la Pentecôte, il dit ces paroles « Rendons grâce avec joie au Père, Lui qui nous a rendu capable de partager l’héritage des saints dans la lumière, Lui qui nous a arraché à la puissance des ténèbres et nous a fait passer dans le royaume de son Fils, Bien-aimés, en qui nous avons la rémission des péchés ». Voilà ce que dit l’Apôtre des Nations, l’Apôtre Paul. Que de fois, au cours de l’année, n’avons-nous affermi nos cœurs avec les paroles de l’Apôtre. Si maintenant, comme il nous y exhorte, nous rendons grâce à Dieu pour ses bienfaits, n’omettons pas non plus de témoigner notre reconnaissance pour le don céleste des écrits de l’Apôtre Paul, l’apôtre des Nations et de tous les autres Apôtres. Comme saint Paul nous l’assure, nous avons espoir de partager un jour l’héritage des saints dans la lumière supraterrestre. Nous pouvons donc, dès maintenant, nous réjouir des rayons de cette lumière arrivée jusqu’à nous. Nous pouvons rechercher ensemble devant le Seigneur les grâces ou comme l’ont dit les théologiens orthodoxes depuis le XIVème siècle, les énergies incréées qui ont été répandues sur nous et sur le monde. Le bienfait de la grâce qui contient tout, c’est avant tout notre rédemption. Le Seigneur nous a rendus capables de partager l’héritage des saints, dans la lumière. Il nous a arrachés à la puissance des ténèbres et passé dans le royaume de son Fils Bien-Aimé. Toutes les grâces
reçues dans l’année, dépendent essentiellement de notre rédemption, comme dépendent de l’arbre, ses branches et ses feuilles. Nous sommes arrachés à la puissance des ténèbres. Mais qu’est-ce que c’est cette puissance des ténèbres ? Et bien, c’est le royaume de Satan. C’est de lui que vient le péché et la corruption. Et nous, malgré notre indignité, nous avons part, dans le sein de l’Église et la communion à l’héritage des saints, dans la lumière, c’est-à-dire, la lumière de Dieu même. C’est cette lumière qui est la source de notre joie, aujourd’hui, en cette fin d’année liturgique, puisque nous allons rentrer, dimanche prochain dans le premier dimanche de l’Avent.
Enfants de Dieu par le Baptême, membres du royaume, pour nous la croix de Jésus, nous accompagne et nous ne voulons plus la quitter jusqu’à ce qu’apparaisse sur les nuées du ciel avec
puissance et gloire, le Christ. C’est dans la croix que réside notre salut, notre vie et notre résurrection. La croix est le signe suprême de notre rédemption, de l’espérance de nos cœurs, dans notre propre vie. Pour elle, par elle, le Seigneur nous guérit, jour après jour, peu à peu. Par elle, Il nous protège des convoitises de ce monde. La croix, mes amis, la croix sur laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a terrassé la mort par sa résurrection qui fait grandir en nous, le désir profond de vivre en Sa présence, d’être avec Lui pour toujours, d’avoir le désir de voir venir son règne sur la terre comme au ciel. Et en ce dernier dimanche, ce dernier dimanche après la Pentecôte, l’Église nous invite à nous préparer au retour glorieux du Seigneur. Cette préparation se continuera pendant tout le temps de l’Avent qui va commencer. A dire vrai, l’année ne finit jamais. L’année est cyclique et nous conduit vers Dieu qui n’a ni commencement, ni fin. Et dans l’Évangile de ce jour le Seigneur nous avertit que tous les malheurs qui surviendrons ne doivent pas nous effrayer car, nous dit-Il « ce sera des signes indispensables, se sont les signes avant coureur du jour du Seigneur » de ce jour que nul ne connaît et qui arrivera soudainement à la gloire de la Divine Trinité, Père, Fils et Saint Esprit aux siècles des siècles.
Amen.

